Mais qu’est t-il arrivé au docteur pour vous prescrire en cette fin d’année du Bill Deraime, chanteur de Blues français, alors qu’il officie sur un blog spécifiquement consacré au Reggae, et à Marseille ? Aucun rapport à priori ! C’est qu’en cherchant un peu, on finit par trouver !
Restant encore surpris du nombre de SDF qui vont se les geler cet hiver, et aimanté par ce blues qui colle au moral, je suis allé à la rencontre de cet homme au bêret rouge, qui fait au départ franchement plus penser à l’Abbé Pierre qu’à Bob Marley…
Revenant d’un pèlerinage marital qui l’a sauvé d’une probable dépression, le mystique Bill a trouvé « le son », la foi, et un vrai groupe (parmi lesquels on trouve un marseillais Denis Ollive !). Fatigué mais plein d’espoir, il était venu nous présenter au Garden’Blues festival à Marseille le 10 octobre dernier sa toute nouvelle liturgie, « Bouge encore », une compilation d’anciens morceaux (plus cinq nouveaux) ressucités pour l’occas’.
Une idée lumineuse que de reprendre ces anciens titres en les jouant avec une guitare douze cordes : « J’avais jamais trouvé le courage avant, surtout en Live, mais on obtient un son bien plus large… Pas besoin quand par exemple je joues du reggae, car j’utilise seulement les quatre dernières cordes, pour la rythmique, ce qui donne un son plus proche de la mandoline, avec des accords plaqués, bien secs ». Il n’y aura donc pas de « skank roots » dans ce cd, ni non plus en concert (quoique, malgré ce qu’il m’avait prédit, on a chaloupé pas mal ce soir là…). Mais c’était l’occasion de ressasser d’anciens souvenirs jalonnant sa longue carrière, et de fredonner les quelques reggae gravés dans les vinyles et cd qu’il a sorti, et ce depuis le tout début : « A l’époque [fin 70’s], on ne connaissait pas bien le Reggae, sauf les initiés, ce n’est que plus tard que j’ai lu la bio de Marley par exemple ! Mais le Reggae était considéré comme une musique contestataire, engagée. Pas comme aujourd’hui où les groupes qui jouent du reggae en France, cela reste marrant mais ce n’en est pas vraiement. A part Jo Corbeau [tiens, tiens…], qui est bien barré la-dedans, à part seulement dans des villes comme Marseille [ !] et Grenoble, il n’y a rien de reggae en France ! »… Quand on écoute par exemple « Le Cargo », surtout décliné en Live, on a pourtannt l’impression de partir de la Joliette direction Kingston ! Bien sur, c’est « Babylone tu déconnes », qui l’a fait connaître : « C’est toute mon expérience avec les gens de la rue, c’était un combat social, et le reggae était le cri de ces gens-là ». Comme ce Jean Pierre Mochet, un gars qui sortait de temps en temps de la clinique psy où il était, pour venir au TMS (Traditional Moutain Sound) Folk center, une permanence où Bill officiait, dès le début des années 70. « C’était une des premières free-cliniques où les gens défoncés pouvaient rencontrer quelqu’un et être soigné anonymement, cela se passait Bd Raspail, il y avait une petite scène et une salle de 150 places, où l’on a pu écouter assis sur des tapis Marcel Dadi, Ramblin’ Jack Elliott, ou même Dick Annegarn. « On faisait venir des musiciens qui passaient dans un des centres américains, pour s’inscrire dans des « hoot nanny hoot » : Tiens, mais c’est pas Peter Tosh qui avait chanté un morceau avec ce titre, à la même période en Jamaïque ?… On trouve d’autres bons reggae dans sa discographie, comme « Energie positive », « Quelqu’un appelle », « Qui a bu… » et « Chaque jour », et même sa reprise de « Sitting on the dock of the bay »…
Tous ses albums sont sur son site, mais aucun n’a fait escale en Jamaïque, comme l’a fait Lavilliers récemment, ou plein d’autres avant lui (Gainsbourg le premier !). « J’ai toujours joué avec un groupe ; pour ce nouvel album, c’est la première fois que j’ai travaillé seul avec mon batteur pendant deux ans, (à retravailler des « trucs » comme Géraldine, qui sonnait fantastique avec cette douze cordes), mais quand je travaillais pour les autres disques, c’était d’abord l’écriture puis les répets ensemble avec le groupe… Et je n’ai jamais eu de musiciens qui me permettaient d’explorer ce que je voulais faire, le Reggae par exemple… J’aurai du y aller seul [en Jamaïque], ce n'est même pas une question de moyens, car cela est moins cher et va beaucoup plus vite, je l’ai vu avec mon album enregistré à la Nouvelle Orleans… Après avoir été dans le Reggae à fond, je serai aujourd’hui plus tourné vers un esprit gospel et Funk, que blues reggae. Mais, en fait, tout cela c’est pareil, le même discours social : Le gospel était contestataire bien avant Martin Luther King, ils se réunissaient en secret pour chanter dans l’esprit biblique de l’ancien testamant. Le Blues non, car il était produit par des blancs qui n’en avaient rien à faire, il en reste seulement la plainte… Commme le reggae, le gospel suit la bible, qui te dit de choisir entre l’argent et Dieu. L’expression est toujours, de façon poétique, la libération des noirs…C’est ce qui manque dans le reggae français, ce coté biblique, ce langage : Les psaulmes, c’est beau, c’est l‘histoire des hommes, mais on oserait pas le chanter en Français ». Tiens, prenons un exemple dans la soul et le Funk : « Quand j’ai été voir Stevie Wonder, un concert mémorable, dans une chanson, il disait toujours « More Love » et il voulait que le public le chante en Français, mais personne ne chantait ! ».
Parmi ses textes, on peut ainsi tomber sur de vraies prières, ce qui a donné à ce chanteur sincère, un look d’illuminé qui n’a pas toujours été compris. « Mes premières chansons vers 1975 étaient déjà bibliques », elles ont d’ailleurs repris dans l’album « La porte » en 87, puis ré-édité en 1991, ce qui lui a couté très cher… « Une autre épreuve, tu sais. Au début, Tu deviens con dans ce système, t’as une vie facile, puis on t’oublie, sauf le fisc qui te réclame 45 briques d’impôt (de l’époque)… Alors, on signe pas toujours avec les bons, et cela finit en procès ! Mais c’est bien pour moi tout cela, sinon, je serai devenu aussi con qu’eux, genre « Pascal Obispo », dans un milieu où si tu n’es pas comme eux… ». Tout cela se ressent dans chacune de ses compositions, de ses derniers textes à ses classiques comme « Plus la peine de frimer », superbement adapté dans son dernier cd (et cela tourne roots !).
« Cette chanson, avec une fin un peu reggae, a bien plu aux Grenoblois de Root’secours, qui l’ont repris humblement un peu ska-isé ». Et Marseille alors, qu’attendons-nous pour finaliser ce lien de cœur qui existe avec cette ville ?. « J’avais dédié le titre « Champion » à Chris Lancri, mon premier compagnon de route, marseillais, car il est champion pour grossir les choses !Il a été au TMS et a fait récemment ma première partie à l’Olympia ». Malheureusement pas repris sur son dernier cd, car « très dur à jouer », ce vieux blues pour guitare solo attend d’être repris par un groupe marseillais (de reggae ?), mais résonnera tout l’hiver dans les ventres vides des exclus de notre système: Acheter, écouter et aimer "Bouge encore", c'est un peu combattre le système, lutter contre la morosité, et faire ce même geste de paix et d'amour que ce que peut nous chanter le reggae... lorsqu'il est vrai ! X-RAY
La version courte de cette article sera diffusée dans le magazine Zibeline (à paraître le 20 décembre…). X-RAY
http://www.billderaime.com/index.php