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mercredi 21 octobre 2009

Roots renaissance

Fini le faste du milieu des années 90, le Reggae Français ne s’est jamais aussi mal porté. Contre vents et marées, Danakil tire son épingle du jeu, sans pour autant surfer sur la vague Frager... Annonçant déjà la couleur d’un troisième album studio, trois ans après leurs débuts discographiques, ils tournent en ce moment avec le groupe de jamaïcains Rootz Underground. Les quelques 300 personnes présentes au Cabaret Aléatoire à Marseille n’ont pas regretté cette bonne soirée (15 euros seulement pour 3 heures de show) et ont découvert à cette occasion deux nouveaux visages du Reggae, formés la même année en 2000. Soyons chauvins, Danakil est sans doute plus rodé, posé et structuré, soutenu par une section de cuivres, indispensable quand on parle de Roots ! Un groupe de musiciens déterminés et complices qui n’ont pas eu à rougir de leur interprétation reggae de « Non, je ne regrette rien ». Représentant ce nœud roots, cette base underground d’une musique écoutés par les jeunes, mais qui ne passe guère à la télé, ils ont même un tube repris en chœur par le public, «les champs de roses ». Mais ils ont surtout eu le bon feeling de se joindre aux Rootz Underground : Mieux qu’un simple artiste jamaïcain, ces vrais musiciens de backing-band ont capté l’attente palpable de ce nouveau public : Un son plus Rock, énergique, dégénérant facilement en Jump-up, qui a mis le feu en ouverture. Leur nom pourrait trahir leur direction musicale : Plutôt que vouloir enfermer le Roots dans un style underground lassant, ils transforment cette héritage pour le placer dans une dimension plus moderne. A contre courant de ce qui se passe en Jamaïque depuis de nombreuses années…
Il n’en fallait pas plus pour pousser la porte des backstages et rencontrer une équipe sympatique (et son manager Neil), avant que de jeunes groupies ne se les arrachent… Chaud, Chaud, interview à chaud avec Jeffrey, le guitariste :
« On a vraiment de bonnes vibes avec ce groupe Danakil, ils jouent avec nous dans notre set, et on joue avec eux aussi »
- Vous connaissiez l’existence de cette scène en France ?
« En Jamaique nous avons Radio France sur la FM depuis deux ans, nous sommes donc au courant de cette engouement en France. Quand j’étais plus jeune, en 2000, juste avant la formation du groupe, j’ai voyagé une première fois en France pour les vacances, et le premier groupe que j’ai entendu était les Massilia Sound System. J’ai essayé d’en savoir plus, malgré la barrière de la langue, et je sais que le marché reggae est ici le plus grand d’Europe aujourd’hui. Vous êtes éduqué en reggae, vous avez suivi tout ça. »
- Ici, plus qu’en Jamaïque ? D’où le fait que l’on a vu très peu de groupes se monter là-bas, depuis l’age d’or des Third World, Chalice, et ZapPow…
« En Jamaîque, aujourd’hui, vous avez le dancehall qui est la pop de là–bas et qui passe en radio. Nous, nous aimions aussi Bob Marley, et des groupes comme Midnite (aux Iles vierges). Stephen le chanteur est mon meilleur ami. J’ai 33 ans, je le connais depuis 33 ans ! Nous avons grandis ensemble jusqu’à nos études supérieures, et l’on s’est plus vu pendant 8 ans. Il avait comme moi appris la guitare depuis, et l’on a démarré à notre retour ce groupe pour le fun seulement ! On a choisi de composer sur du Roots Reggae, qui n’était pas populaire alors, d’où notre nom… »
- Mais quelles étaient vos réelles motivations pour jouer de la musique Roots ?
« Au début, notre but n’était pas de faire de l’argent, mais c’était juste une expression artistique... C’était même pas un choix, nous avons eu de la chance dans notre destin car le monde s’est pris d’amour pour le Roots, et l’on remercie Jah de ce qui est arrivé au groupe, c’est vraiment son travail, il nous a poussé dans cette direction. On avait tous d’autres boulots, que l’on a quitté, car peu à peu on s’est fait connaître, et on a connu notre manager, Neil, américain de parent jamaïcains.
- Il fait un peu partie du groupe…
« Oui, avec le guitariste Charles qui a des liens familaux avec Ken Lazarus, le père de son cousin en fait. Avec notre bassiste, assisté d’un nouveau batteur depuis trois ans. Et Scooby qui était le clavier de Buju banton, pus Luciano. Quand il ne jouait pas avec Luciano, il travaillait aussi avec les Mystic Revealers, qui avait le même ingénieur du son que nous, et qui nous l’a présenté il y a six ans. Il a aimé notre musique, et voulait retrouver cette notion de groupe quand les Mystic Revealers ont splitté. Il nousa rejoint pis a quitté Luciano il y a deux ans et souffre depuis avec nous ! Car nous avons encore tout à construire, mais pas d’argent ! Tous les musiciens avaient un groupe, jouaient derrière des artistes, qu’ils ont quitté quand on a commencé à avoir du succés. ; 2 ans de tournées sur la cote Ouest, et voilà notre première tournée ici, après deux passages au Reggae Sun Ska et au Zenith de Paris… Nous avons aussi créé en Jamaïque le Band Inc°, avec deux autres groupes, Dub Tonic Crew et le band de Tony Rebel : On joue nos compositions, on change de groupe pendant le live ! On joue sur scène trois heures, avec des chanteurs qui interviennent, mais cela n’attire pas les foules.
- Votre groupe a suscité une réaction du coté des artistes jamaïcains, qui vous ont demandé comme back- up ?
« Oui, mais ne pense pas que nous avons joué avec les Wailing Souls ou les autres en Jamaique, c’étaient uniquement pour des tournées à l’étranger. De ma vie, tu sais, j’ai du voir seulement deux fois Burning Spear en concert, dans l’île. Et il n’y avait pas grand monde ! J’ai aussi été au Rebel Salute, c’est le seul show qui passe du Roots, même le Sumfest maintenant c’est du R & b et du Dancehall : J’y vais aussi, c’est cool, mais c’est pas roots. !
- La scène jamaïcaine surprend avec les apparitions d’une pleïade d’artistes, qui viennent chanter deux tunes » et laissent la place à d’autres… Pourquoi cette methode d’ailleurs en Jamaïque ?
« Je ne sais pas, mais cela a une explication culturelle en fait. Disons que dans le monde, nous sommes un pays pauvre, les gens ne peuvent pas voyager, ils ignorent que partout dans le monde, on aime autant le Reggae. Et ils regardent la TV américaine, avec le hip-hop, ce qui a changé notre culture issue des années 80, influencé dorénavant par l’Amerique. Les jeunes trouvent notre musique ennuyeuse, « boring », ce n’est pas du « Galang Galang » ! Les rastas, eux, qui n’aiment que le Roots, ne suivent plus tout ce qui passe, ils sont partis ! En plus, en Jamaîque, il y beaucoup de corruption dans le milieu des radios. Vous devez payer pour passer…
- Vous y avez été confrontés ?
« On est moralement mieux que cela ! Certes on voudrait être plus populaire, mais notre argent, on préfère le mettre dans un album, une vidéo… Il y a plus rien ensuite pour eux ! Pour faire un hit, il faut avoir beaucoup d’argent, c’est dur, mais c’est beau aussi et gratifiant de défendre notre culture sans argent, car on fait des concerts gratuits, et tout le monde peut venir apprécier.
- C’est plus dur aussi de délivrer un message, et interpeller chacun de nous ?
« Le message est actuellement plus global, le problème l’est aussi. Il s’agit de positiver. Le monde devient plus violent, pas de respect pour la femme, la guerre dans le monde, il est donc encore plus important aujourd’hui de délivrer un message positif. Ce que tu ressens dans ton cœur est le plus important, et te permet de devenir plus fort face aux autres forces et vampires qui drainent la négativité. Il est plus facile de parler de Guns, de sexe, c’est ce que le monde affiche. On doit aller au fond de soi, défendre ses opinions et se battre. Ce n’est plus une lutte de races ni même une lutte de classes, mais une lutte face à une domination économique.
- Un message plus universel que du temps du Roots, ou l’homme noir parlait pour l‘homme noir…
« C’est vrai, du temps de Bob Marley on chantait la souffrance de notre peuple, on condamnait notre système, maintenant, grâce au progrès internet et à nos tournées, on sait que si la France est un pays riche, elle a aussi des gens qui souffrent ici, on sent la même chose partout. Et le message est de défendre les pauvres, pour une société plus égale.
- Le message des bobos paraît nettement plus radical, qu’en penses-tu ?
« Tu sais, je suis fan de leur musique, Capleton Sizzla, et même Buju qui a des problèmes aujourd’hui, j’aime 95 % de leurs chansons. Ils n’ont pas perdu le message, mais il est très difficile pour eux d’aller aux USA aujourd’hui, de se développer. Personne de les aime, ils en ont marre, et cela les met en colère. Ils ne montrent que leur coté Bad, car même quand ils montrent leur coté positif, on les écarte et leur demande de se justifier. Même lorsqu’ils s’excusent (de propos homophobes par exemple) on continue à les haïr. Même après avoir dit des choses positives, ils doivent défendre leur propos sans cesse. Il faut aussi dire que ce n’est pas facile pour eux non plus... La scène Dancehall est une bonne chose ! Non, nous ne refuserions pas de jouer avec Buju ou Sizzla par exemple, bien au contraire. Mais pas en Dancehall, pour un vrai set live…
- Mais Rootz Underground fait du Roots ?
« Assurément, quoique si tu écoutes l’album, ce n’est pas forcément roots à l’arrivée, on a pas de frontières, on aime les vieux rythmes aussi ; on parle de faire un morceau mento bientôt, mais on aime créer, innover, on ne veut pas rester insulaire, alors on s’ouvre vers le monde des musiques électroniques, ou vers le Rock que l’on veut incorporer au Roots, ce sont des émotions uniques… Et Bob Marley à la fin de la période Blackwell et de sa carrière, avec un clavier et deux guitares, dont Al Anderson, il faisait du Rock, non ?
- Juste ! Alors, parlons un peu de votre discographie…
« Notre premier album a été réalisé il y a six ans déjà par Wayne Armond, claviers de Chalice. Mon père déjà a fait partie du groupe Chalice en tant que musicien. [Le groupe Chalice s’était formé en 1980 et séparé en 1996. Il a donné en 2007 un brillant signe de retour, désormais conduit par Steve Golding depuis le départ du chanteur et le décés de Mikey Wallace, le bassiste (NDLR)]. Nous étions très jeunes et il nous a appris à composer, à placer nos chorus. Nous avons depuis sorti un album live, disponible gratuitement sur site via le net, nous avons décidé de cela ensemble : En fait, l’enregistrement de cette prestation à Chicago sur Pro Tools nous a rien couté et était de bonne qualité, c’est Charles qui s’est ensuite occupé des liens du groupe avec Internet… »
- Combien de télechargements ?
« Il y a 6 mois, plus de 20000, mais chacun a pu donner à d’autres le fichier. »
- Et un autre album studio est prêt ?
« Sur notre premier album « Movement », tu peux entendre au début Rory de Stone Love. On a fait depuis un autre single ensemble, “Power to the people”. Sur notre 3ème album qui s’appelle « Gravity », c’est lui qui produit l’album et participe à ces 16 chansons. En Fevrier, il sera pressé, puis nous tournerons ensemble une nouvelles fois chez vous ! Ce sera un mix de son dancehall, et d’un vrai band. Ce n’est pas un album dancehall, mais il a ce gout-là, le suivant sera surement sans dout plus roots, sur notre label Riverstone. ».
En live, on retiendra surtout la forte puissance du son du groupe, aidé d’un bon ingénieur et ce malgré les faibles commodités qu’offre la salle habituellement. Même si le débit haché du chanteur a fait décollé le public sur les passages plus modernes, quand ils décident de reprendre du Bob Marley, ils ne cèdent pas à la facilité d’un répertoire à la Legend, en nous gratifiant d’un medley comprenant « Trench Town », « Midnight Ravers », et « Top Ranking ». Le reste de ce set rythmique se fera dans une ambiance fumeuse et Stephen n’hésitera pas à gouter les vertus locales de nos meilleurs jardiniers, période de récolte oblige. De quoi concilier tout le monde et calmer les esprits… Car à force, on s’énerve ! La route fut longue (1 an déjà) avant de voir ces musicicens dans notre ville. Cela en valait la peine, la force positive est désormais en nous, ranimée par de jeunes pousses. On ne l’attendait plus…