TRIBUTE TO THE LIVING LEGENDS
Alors que l’Italie boude cette année son Rototom en le reconduisant à la frontière espagnole, la côte Ouest des USA reçoit ses habituels rendez-vous Reggae de début d’année. Instigatrice de l’un d’entre eux, Makeda, « déjà là en 1974 pour le passage des Wailers », a instauré à San Diego « le Bob Marley Day, dans une des capitales reggae des Etats-Unis ». Rebaptisé depuis un an « Tribute to the Reggae Legends » (en faisant honneur cette année à feu Ronnie Davis et Yabby You), elle y affirme suivre le mot d’ordre Rasta , « avec un but commun, mais tant de routes pour le concrétiser ».
Pour bien saisir la portée et l’engouement d’un tel festival, il faut d’abord avouer que l’on pourra difficilement transposer en Europe ce professionnalisme à l’américaine, ni cet état d’esprit cool et zen d’Unité : Un rassemblement sous la même bannière vert jaune rouge (chacun accoutré le plus flashy possible), en osmose avec son temps pour combattre les maux de la société (racisme, pollution, non respect de la nature), mais surtout l’occasion de se retrouver entre minorités par amour d’une même musique et dans des conditions optimales. Avec un soleil au Zénith et sa file d’attente longue et souple, ce 29ème opus sera donc grandiloquent, et pourtant totalement décontracté. Au cœur d’un vaste Mall (centre commercial), le Sports Arena promet d’être immense (deux prix d’entrée, assis ou dans la fosse à 51 ou 71 $ - même si l’on pouvait réserver ses places sur le net pour 35$ seulement) et ne tardera pas à être complet (20 000 personnes?), sans tapage ni resquilleur. Aucune force de l’ordre dans l’enceinte, horaires et temps de passage des groupes réglés à la minute, sens des files d’attente ou de passage dans les escaliers, toilettes nombreuses. Et surtout un cercle déambulatoire intérieur avec plus d’une centaine de stands à l’effigie Rasta, de nombreux restaurants jamaïcains proposant patties ou plats végétariens, et des dessertes à la disposition de tous avec serviettes, couverts et épices, sans oublier le Ketchup : On se croirait à l’armée, sauf que la discipline américaine est naturelle ici, et que la cause n’est point meurtrière mais pacifique! L’annonce de l’annulation de la tournée américaine de Capleton (par pression de groupes de défenses Gays) était cause entendue, le public éduqué et stone semblait plus concerné par l’Indica Californienne, tolérée ici et en vente « facile », que par la programmation hétéroclite : Il réagira spontanément avec l’arrivée sur scène de la première surprise du Festival, Frankie Paul. Un de ceux pour qui le retour est le plus difficile, avec une carrière derrière lui, mais de sa voix restée intacte FP louera ses nombreux succès, en intégralité, contrairement aux medleys faciles entendus en Europe. Alborosie est lui un parfait inconnu, un rital dancehall qui a tout à prouver. Dès les premières notes de Herbalist, il délivre son répertoire le plus évident avec un débit très –trop- rapide (la caisse claire du batteur ayant décroché sera remplacé illico, pendant l’intro et sans arrêt) avec des compos comme Sound Killa ou Slam Bam, avant de tenter le plus souple Jerusalem ou de sacraliser le tube Kingston Town, et de rencontrer alors la satisfaction du public, un soutien inespéré pour une première prestation. Fin délirante et en guise de félicitation, un Mama bien Jazzy (et même gospel) pour rendre hommage à ce pays, mais surtout un batteur excellent tout le set, qui devrait être mis plus en avant…
Les Twinkle Brothers étaient au complet, avec Black Steel et leur sonorisateur, mais Della Grant supporte toujours aussi mal d’introduire son groupe avec du lover, plutôt que les hits Africa, Never get burn ou Faith can move Mountains que Norman Grant dévoilera ensuite dans l’ordre. Les classiques s’enchaînent et le backstage VIP est en folie jusqu’à Repentent… Il n’y aura pas de morceaux de leur dernier album et un son assez envahissant, les salles plus petites leur faisant sûrement plus honneur. Tribal Seeds, six musiciens américains très populaires ici (dont une guitare assez bluesy et un batteur non averti) sont ceux qui rencontreront le plus de ferveur : Entassé devant la scène, un public teenager allumera ses briquets, et reprendra en choeur leurs textes. On observera la même nonchalance et les mêmes rengaines qu’avec nos groupes locaux, ceux d’ici finissant leur set avec une reprise de Steel Pulse, signe aussi surprenant que significatif de leurs inspirations plus européennes que Jamaïcaines. Don Carlos est aussi chez lui et sera le meilleur représentant du Reggae pur roots jamaïcain de la soirée : Il sort un nouvel album intéressant, possède un son énorme, et un groupe Californien avec de bons cuivres. La voix de cet ange est plus grave qu’hier, mais il surfera pour nous un superbe riddim Drifter, osera un Black out in the Ghetto à capella, avant le plus récent Favorite Cup, sur le riddim de None a Jah Jah Children. Don Carlos a compris qu’il fallait faire court et intensif, et fait mouche. Le final avec le fils de Garth Dennis et le Guess who’s coming to dinner aurait même pu durer un peu plus, mais la scène se tourne à 90° pour laisser place au groupe suivant : En effet, géré par deux immenses tables de mix en façade, cette double scène rotative évite toute attente entre artistes, et rendra la soirée encore plus magique…
Gregory Isaacs n’était pas aussi bien préparé mais le public l’a porté tout au long d’un show classique et un peu poussif, avec un guitariste trop limité et pourtant mis en avant. Il sera à jamais le Number One avec le nombre incalculable de hits qu’il possède, et ne bâclera pas, n’omettant pas le Night Nurse qui a vu tous les téléphones se dresser, comme pour capter une dernière fois la légende… Martin Campbell fête lui son retour sur ces rivages californiens, en choisissant les membres du Soul Syndicate (pour la plupart éxilé en Californie), le dernier VRAI groupe de Reggae officiant toujours (renommé Fully Fullwood Band car sans Chinna Smith). Et l’on se hâtait de voir cette création toute récente s’exprimer sans réelle préparation. Le son envahissant a gêné un peu Tony Chin, mais la rythmique est resté maître et la section cuivres n’était pas en reste, même si elle semblait en retrait par rapport à de tels géants. Le chanteur restera figé mais fidèle à lui-même, en proposant une alternative Dub/Poet que l’on ne pensait plus trouver dans un tel endroit et qui nous a fait frémir par moments. Malheureusement, le Wicked a rule passera à la trappe lui aussi… Barrington Levy est la star incontesté du show, et donne bien plus que ce qu’il nous réserve quand il vient chez nous (rien que le Only you a cappella sonne plus sincère ici). Quel plaisir de retrouver la désinvolture de sa jeunesse sur des tubes comme Youth Man (justement !), Prison Oval Rock,Sweet Reggae music ou Collie man, nous gratifiant ensuite d’un Poor man Style a cappella et d’un finish idéal avec A yah We deh, et Murderer. Manquait que Here I Come, mais si il l’avait oublié, il est revenu nous la faire alors que la scène avait déjà fait son dernier tour à 90 degrés : « Eh oui » dit-il, « à San Diego c’est comme cela, on est pas en reste ». Tu l’as dit! Choisir Eek A Mouse pour assurer la défection d’un Anti Batty Boy a pu faire sourire, d’autant que la souris n’a pas non plus un casier très net et une réputation d’enfant de choeur. Mais cet homme grand de taille sait rester grand sur scène, améliorant encore d’un jus Rub a Dub une soirée déjà anthologique, que le flow Ragga aurait peut-être trop épicé. Malheureusement, ce contre temps de dernière minute ayant engendré ¾ heures d’attente, le bad boy jamaïcain a fini son set devant moins du quart des invités : En tant que résident ici, il s’attendait plus de respect. L’an dernier, il a failli mourir incendié dans un pub de San Diégo ou il devait se produire: Cette fois-ci, pas de Fire man, ni de Fire Burn ! Nous étions tous protégé par l’inspiration divine, mieux encore, un esprit mystique avait effacé des prestations de nos artistes toute reprise lourdingue de Jammin’ ou un hommage réchauffé à la One Love, qui sont encore de mise en France, et n’apportent plus rien depuis longtemps…
Epaulé par la main de Jah à l’entrée (malgré un petit retard qui m’a fait zappé Sister Carol), je me retrouvai à ses cotés tout le long du concert, illuminé et apaisé, dévisageant les visages des gang barrios environnants (impressionnants), puis découvrant son visage humble et sa stature imposante en backstage, avec les amis des Twinkle Brothers. Vous verrez peut-être ce Messie sur les prochains clichés de Seb Carayol, journaliste de Natty Dread, à qui je dois beaucoup d’avoir été là-bas. Les concerts démarrant toujours tôt dans l’après-midi (14h) pour permettre un déploiement de forces limité jusqu’à Minuit, il restera du temps pour rêver à cette journée dans la douceur de la nuit, avant de revivre ce même festival la semaine d’après, à Long Beach et sur deux jours : Les Aggrolites et Ken Boothe apportaient peut-être la touche Oldies qui faisait défaut à la soirée de San Diego (qui n’a d’ailleurs pas cité le guitariste vétéran Lynn Taitt, pourtant un voisin canadien décédé récemment). Mais ne leur cherchons pas de lacunes, car on nous accuserait vite de jalousie, et on aurait raison ! Economisons donc dès demain pour un tel voyage, et faisons nous avant tout une autre idée de l’Amérique : Il n’y a que là bas que l’on peut encore vivre ce genre de soirées, un conte de fée… en plein royaume de Babylone. X-Ray.