REBELS OU GENTLEMEN ?
Doucement mais surement, la vague Reggae s’est retirée dans l’Underground, coulant des jours incertains sans trop s’en faire (à la Jamaïcaine, quoi !), avec en son fond des projets ambitieux et des oubliés qui n’ont pu saisir leur chance… Sur le sable Jamaïcain, trainent toujours la trace de ces messagers excentriques, trop intégristes pour embrasser la portée universelle du Reggae : Vybez Kartel le Don s’explique (?) sur un site français, Buju Banton est en taule aux Etats-Unis, Risto Benji s’est éteint en Jamaïque (mais le DJ n’était pas un enfant de choeur) et même l’Anglais Chukki Starr a été annulé à la dernière minute (Sound-system prévu à Aubagne) car on a trouvé chez lui à Londres tout un arsenal… On avait aussi eu droit à une drôle de boulette à l’Anglaise quand ils avaient supprimé Smiley Culture, qui tentait de fuir son domicile ou était entreposé armes et drogues diverses. Tout cela ne respire pas le Flower Power, et l’on arrive même à s’en désintéresser… Même si ce n’est pas votre came, le Africa Calling de Tiwony vous réconciliera peut-être avec le coté militant du Reggae, mais les visages pales n’ont pas l’air vraiment attendus dans leur Eglise !...
De l’autre coté de cette plage musicale très affutée, certains artistes européens se sont ancrés dans le PAF Reggae, qu’ils soient jamaïcains ou blancs, voire les deux ! Alborosie en Maître pose sur chaque style aussi facilement que les insulaires, et pourtant il est Italien. Alpheus et Gappy Ranks en Angleterre sortent des morceaux sur des rythmiques bien plus soignées que ce qui se fait là-bas. L’antillais Taïro, Patrice et Gentleman sont à l’affiche dans le Var pour la soirée Reggae de leurs « Couleurs Urbaines », ils n’ont donc retenu aucun authentique Jamaïcain cette année…
En Mai dernier c’était Alborosie, Alpha Blondy et ce même Gentleman qui se retrouvaient en Live à Paris. Ce dernier sort aujourd’hui un double album Live et un DVD enregistré au Summerjam (le plus gros festival européen de Reggae, installé à Cologne en Allemagne) pour son 25ème anniversaire. Il fallait donc aller voir de plus prêt cet ersatz de Reggae Germanique, qui sonne franchement aussi bien si ce n’est mieux que les dernières sorties de « Yard », et qui nous vient pourtant d’un pays pas à proprement parler concerné par le Reggae !
Alors première question, est-il besoin de toujours aller en Jamaïque pour y enregistrer ?
- Les albums naissent aujourd’hui de différents endroits, New York, London, Berlin, cela n’influe pas sur la manière de les faire, mais quand tu vas en Jamaïque, et spécialement à Kingston tu as des solides vibrations créatives, il y a tant d’artistes, de producteurs, je suis connecté à la source…J’ai de nombreux amis, avec qui je travaille. Je travaille aussi sur la route, avec mon groupe, on a plus besoin de gros studios tu sais, les choses changent… Mais j’ai besoin d’un retour aux choses analogiques. Pour l’âme d’une chanson, c’est mieux d’avoir un groupe, de le développer ensemble. Le Reggae est versatile, le son du Dancehall est bien aussi. C’est maintenant une super opportunité pour les jeunes de pouvoir enregistrer leurs riddims soi-même facilement, ils font une musique vraiment formidable, comme par exemple Steve Mc Gregor. C’est même difficile de reconnaître au final ce qui est digital... C’est partie intégrante de cette Musique, mais pour le Roots il faut revenir à l’analogique…
Et chanter en allemand, ca ne te vient pas ?
- J’écris en Anglais, c’est plus facile, même si ma langue maternelle est l’Allemand. La façon dont je suis entré dans cette musique s’est fait par le Patois, je suis allé en Jamaïque, je suis tombé amoureux du Reggae, et j’y passe beaucoup de temps, à parler Anglais. En plus, cela suit aussi l’objectif de toucher tout le monde au niveau international : Si je chantais en Allemand, seul mon peuple et peut-être les Suisses et le Autrichiens me comprendraient ! Si le monde entier parlait Espagnol, je chanterai en Espagnol, mais là nous parlons Anglais, non ? La plupart des discussions faites autour du Reggae sont en Anglais, donc quand j’écris, ma première inspiration est l’Anglais… Cette langue allemande est riche, mais en plus je n’aime pas trop le son, même si des groupes comme Seeed l’utilisent bien. Pour moi, cela me ferait redémarrer à Zéro si je voulais créer quelque chose en Allemand !
Qu’est ce qui a installé le son Jamaïcain en Allemagne, des artistes, des soirées, des radios ?.
- Je ne sais pas trop comment cela est arrivé, et si cela est arrivé d'ailleurs, car moi, quand j’écoute la radio, il passe pas de Luciano, ce genre de choses, ils passent du Lady Gaga ! J’espère toujours voir le reggae dans une ligne « mainstream » pas au sens négatif, mais plutôt dans l’idée de diversifier le Top 10 en Radio et Télé. En France il y a je pense beaucoup de stations où tu peux passer pas seulement ce que le Boss veut que tu passes ! En Angleterre, il y a eu le réseau Pirate, très important pour le coté Culturel et anti-commercial de la Musique. En Allemagne, ils ont raté cette chose-là, il y a beaucoup de sound et de producteurs, beaucoup d’artistes qui font cette musique mais il y a un manque certain du coté des médias…
Peut-être ont-ils été plus ouverts au Dancehall ?
- Non, je pense d’ailleurs que le phénomène est mondial, pareil partout ailleurs. Je suis un grand voyageur, le Dancehall n’est pas plus populaire, bien sur il y en a plus dans les Charts et en Radio que du Roots, et c'est vrai en Jamaïque bien sur, mais on est allé en Amérique du Sud, en Californie, on écoute du Roots, Burning Spear, Anthony B, pas du Vybez Kartel. Et en Afrique c’est pareil, le Dancehall est moins culturellement développé…
« Si t’es pas Jamaïcain, tu n’es pas Rastafari », alors d’où peut venir ton inspiration ?...
- L’Inspiration est là, tu dois juste t’ouvrir à cela… Elle se révèle à toi, si tu n’a pas peur de te faire mal…Voyager, parler avec les gens, écouter des musiques différente, c’est cela mon inspiration… La Nature elle-même est Inspiration, lire un livre, regarder les News peuvent être mon inspiration. Mais il y a un moment de créativité qu’il faut sentir, qu’il faut connaître. La créativité elle n’est pas permanente. Ce n’est pas toujours que l’on crée, il faut prendre ce moment comme un cadeau, et ne pas remettre à demain ce moment de créativité. Je me sens aussi responsable quant aux contenus de mes textes, même si pas tous les textes ont besoin d’une certaine profondeur et philosophie, car tu peux faire une belle chanson d’amour, et c’est tout ! La Musique au départ est un divertissement, mais si tu vas plus loin, tu es devant quelque chose de spécial, tu peux avoir un super texte, mais sans une bonne mélodie et un bon groove, on n’écoutera pas ! Par contre, si c’est le cas, les gens s’identifieront à ta chanson, et là c’est encore plus puissant… Tu as une pensée en toi, tu es seul, et puis tu entends une chanson qui exprime ce que tu ressens, et alors tu te sens réconforté, c’est cela pour moi le vrai Pouvoir de la Musique !... Quand j’écoute du Reggae Roots, cela me donne l’énergie !
Gentleman était à Paris sur la même affiche qu'Alpha Blondy et Alborosie, Albo a dit sur scène que tu étais son "Frère', quel est ta réponse?
- Bien sur qu’on est frère, et Alpha est son père ! Je le connais depuis très longtemps, on s’est rencontré en Jamaïque, il était producteur et chantait de temps en temps, je lui ai alors dit qu’il devait utiliser plus sa voix, qu’il avait ce talent, il chantait alors en Lead « Jamaica » qui disait que la Jamaïque te manque dès que tu t’en vas, c’était pour moi un Hit ! Je suis fier de voir que cela a marché, c’est un amoureux du Reggae tu sais, il a dans le sang, il joue de tous les instruments, il produit tout lui-même, c’est un fanatique, un vrai, je suis très heureux de son succès dans le monde entier, il le mérite ! Alpha a fait beaucoup pour le Reggae, et quand je te parlé de la portée du Reggae qui est plus qu’un simple divertissement, c’est ce que défend cet artiste. Quand tu vois l’expression dans les yeux des gens à ces concert, c’est très puissant, c’est vraiment un messager pour ces gens…
Une chanson vous lie tous les trois, car vous la chantez, c’est Jérusalem, vous auriez pu la chanter ensemble, non ?
- On l’a chanté ensemble pour moi, on était sur scène, on a utilisé le même micro probablement. On fait tous les trois la même musique, pas la peine de se retrouver à la chanter ensemble.
Le chanteur de Groundation tourne actuellement avec un hommage à Bob Marley, est-ce qu’il est prévu quelque chose de spécial ?
- Je loue Bob chaque jour, chaque fois que je joue du reggae. Il est la raison même pour laquelle je fais cette musique ! Et pour laquelle je parle musique avec vous aujourd’hui. C’est le Prophète ! Sa musique influence la mienne, c’est un hommage de chaque jour , pas besoin d’anniversaire pour les 20 ans ou les 30 ans, je le fais chaque jour !
C’est donc grâce à Bob que tu sors aujourd’hui un double cd live, un Best of en quelque sorte ! !
- Yes, ce Live est la combinaison de mes trois derniers disques. Mais le public sait que les versions live de nos morceaux sont différentes qu’en studio, différents arrangements et différente énergie, c’est vrai qu’un live peut avoir la mauvaise réputation de ne reprendre qu’un album, mais là c’est vraiment différent. Il y avait en plus une grosse demande, notre dernier Live était de 2003 !...
Alors pour finir, cite nous ton meilleur album Live de tous les temps ?
- Il y en a tellement, par exemple le Live d’Ayo ( !), Sizzla à Brixton avec le Firehouse Crew, Le Bob à Zimbabwe, le Peter Tosh à Los Angeles, le Barrington Levy à San Fransisco, on va en parler jusqu’à demain !